J’ai eu l’occasion de lire quelques
ouvrages du journaliste Albert Londres. J’annonce la couleur, j’ai beaucoup
aimé. Un de ces livres portait sur le Guyane avec ce doux et merveilleux titre Au bagne.
C’est clair, personne ne s’attend à une intrigue captivante avec un titre
pareil ni à une épopée épique. Il s’agit d’un reportage, d’un réquisitoire
accablant contre le bagne. Vous serez seulement confrontés à la misère et la
souffrance humaine, doublé d’un portrait peu avenant d’une Guyane encore à 99 %
sauvage avec des infrastructures rudimentaires quand elles existent.
De la forêt, le bagne, Cayenne et
Saint-Laurent encore à l’état de villes insalubres dépourvues de tout, le bagne
en forêt, les îles du Salut…les Amérindiens ? Connais pas. Les descendants
d’esclaves, on en voit un ou deux, souvent au service de l’administration
pénitentiaire. Et de la souffrance, encore et inlassablement. Des bagnards aux
pieds rongés par les chiques, les araignées de mer et les maladies comme
l’ankylostomiase, le regard vide et abattu, amaigris par maintes maltraitances
et affamés, toujours. Leur espoir : s’évader vers les îles caribéennes
plus clémentes où au moins ils auront du travail comme Trinidad.
Je vais faire ma fainéante et
vous laissez découvrir l’écriture de Londres :
« Le
bagne, le vrai
La Guyane est
un pays inhabité. Son territoire fait le tiers de la France (note perso : c’est
vous dire si on a perdu pas mal de km²), mais elle n’a que vingt cinq mille
habitants – encore quand on compte avec amitié. Le Guyanais qui va se promener
prend son fusil comme nous notre parapluie […]
Repartons.
Toujours des pri-pri,
toujours des savanes tremblantes. Nous arrivons au kilomètre 24. C’est le bout
du monde.
Et pour la
première fois, je vois le bagne !
Ils sont là
cent hommes, tous la maladie dans le ventre. Ceux qui sont debout, ceux qui
sont couchés, ceux qui gémissent comme des chiens.
La brousse
est là devant eux, semblable à un mur. Mais ce ne sont pas eux qui abattront le
mur, c’est le mur qui les aura. […]
Vingt-quatre
kilomètres en soixante ans ! Dans quatre siècles, nous aurons probablement
réuni Cayenne à Saint-Laurent-du-Maroni, et ce sera magnifique encore !...
Pourtant, la
question serait de savoir si l’on veut faire une route ou si l’on veut faire
crever des individus. Si c’est pour faire crever des individus, ne changez
rien ! Tout va bien ! Si c’est pour faire une route… »
J’aime
l’ironie et le sarcasme qui sont la marque de fabrique de Londres.
L’existence du
bagnard se résout à deux choses : vivre au bagne et avoir au moins un toit
et de la nourriture, si peu soit-elle, ou être libre et se retrouver livrer à
lui-même tant les options sont maigres dans le paysage économique guyanais du
début du XXe siècle. Londres vous racontera qu’à Saint-Laurent, des
bagnards vont jusqu’à projeter de voler sachant que le cas échéant ils n’auront
rien dans le ventre le soir venu. D’autres complotent pour tuer un homme dans
l’espoir de retourner au bagne. Ils en sont venus à envier les malades envoyés
à l’hôpital… Une phrase pour résumer leur état d’esprit : « Ce
qui serait une catastrophe pour un homme libre, pour nous est un
bonheur. »
C’est aussi
une terre d’injustice où l’administration pénitentiaire est toute puissante…
« Motifs
de punitions :
A excité ses
camarades à l’hilarité par son bavardage continuel pendant la sieste :
trente jours de cachots. […]
A accusé un
surveillant de lui avoir volé deux francs : trente jours de cachots. […]
A forcé le
guichet de sa cellule, passé sa tête et crié : « une autre punition,
s’il vous plaît ! » : trente jours de cachot. »
« Alors
les médecins ?
Les médecins
sont écœurés. Les témoins les plus violents de l’administration pénitentiaire
se trouvent parmi eux.
Le médecin
voit l’homme. L’administration voit le condamné. Pris entre ces deux visions,
le condamné voit la mort.
-
Mille bagnards meurent par an. Ces neuf cents
mourront.
-
Mais c’est long, monsieur, me dit celui-là, né à
Bourges, c’est long !… long !… »
Vous noterez
que c’est une bien pauvre critique littéraire. En ce cas, je n’ai pas de références
auxquelles vous renvoyer.
Nub' Dee.
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